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La Seconde Mort De L’arms Park


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Ici, la mémoire est tellement évidente que le conseil d’administration se tient dans la salle servant de musée. Entre les « caps » des années vingt, toutes les photos des équipes de chaque saison. Des jerseys échangés en fin de match. Des souvenirs kitch, comme une dent de baleine offerte durant une tournée aux Fidji. Une tête empaillée de springbok, et pour comprendre ce que représente l’animal au mur il faut écouter Bleddyn Williams, gloire vivante du rugby gallois au même titre que le furent plus récemment Gareth Edwards (statufié de son vivant), ou Gerald Davies, aujourd’hui président du Cardiff rugby football club, raconter pourquoi le trophée, réservé à ceux qui battaient les Sud-Africains, fut quand même décerné : les Springboks, vainqueurs 11 à 8, avaient décidé en ce jour de 1951 que ces bougres de Gallois méritaient bien de gagner. Sur la photo du 12 novembre 1953, porté par ses coéquipiers, il fixe l’objectif, bravache et échevelé. C’est que les Gallois venaient de tenir tête aux All Blacks, battus 8 à 3.

Alors, quand resurgissent les projets immobiliers pour raser ce qui subsiste de l’Arms Park de 1876, le sang de l’ancien docker Bleddyn Williams, comme celui des trois mille membres du club, ne fait qu’un tour. « On a déjà déménagé une fois, on ne bougera plus d’ici, c’est aussi simple que cela. » La première fois, c’était pour faire de la place au Millennium Stadium, construit pour la Coupe du monde 1999 en rasant l’Arms Park historique - le club local de rugby se repliant alors sur le terrain de cricket, juste à côté. Bleddyn Williams ne garde pas un très bon souvenir de la construction du Millennium, « ils ont posé leurs grues sur notre pelouse », empêchant les matchs de s’y tenir pendant deux saisons. La pelouse, pour un Gallois, c’est sacré.

Le Millennium Stadium, c’est 72 000 places et un toit amovible. Et c’est à chaque grande compétition qui s’y déroule, comme cette Coupe du monde, le même refrain, entonné par la municipalité de Cardiff et les patrons du stade - la fédération galloise de rugby, la WRU. Il s’agit de détruire ce qui reste de l’Arms Park pour y construire, en plein centre-ville, un palais des congrès, des boutiques : on voit le tableau. Président de la chambre de commerce après avoir été maire, Russell Goodway avance « le besoin immédiat pour Cardiff d’un tel centre de congrès ». Le relatif succès économique de l’équipe des Ospreys à Swansea, la rivale rugbystique toute proche, depuis leur nouveau Liberty Stadium, est cité en exemple. Des pressions s’exercent aussi pour que les Cardiff Blues, l’équipe pro qui loue l’Arms Park au club amateur, déménagent à la périphérie de Cardiff, dans le stade occupé par l’équipe de football. Le rêve du conseil municipal d’un complexe gigantesque, susceptible d’accueillir des finales européennes de football et les dignitaires de l’UEFA, rencontre celui de la WRU de gagner huit milles places supplémentaires en terminant

le Millennium Stadium.

Car c’est l’une de ces histoires ironiques dont raffolent les Britanniques : le plus beau stade de Grande-Bretagne, le fleuron du pays de Galles, est inachevé sur son côté nord. Les tribunes hautes prévues n’ont pu être construites, Bleddyn Williams et les trois mille membres du club de rugby refusant qu’on touche à leurs vieilles tribunes de béton et au siège du club non moins chargé d’histoire. Menaces, colère, négociation, compromis : voilà pourquoi, imbriquée dans les structures du stade ultramoderne, subsiste l’arrière d’une vieille tribune de cricket de l’Arms Park. Deux stades dos à dos, pour deux idées du rugby. Dans l’Arms Park, jouent les rugbymen amateurs du Cardiff rugby football club, ainsi que les pros des Cardiff Blues. Dans le Millennium, les compétitions internationales, ou les concerts rock.

Car ce qui a disparu avec l’Arms Park historique, c’est aussi une manière de vivre le rugby.

Dirigeant d’un choeur masculin, David James se souvient que « l’on arrivait au stade très en avance. Comme il n’y avait rien d’autre à faire, on chantait. Les gens allaient alors plus à l’église qu’aujourd’hui, c’était facile ». Aujourd’hui, on vient au spectacle, on arrive un quart d’heure en avance. Le répertoire a changé, c’est plus Tom Jones que des cantiques. Les tribunes debout ont fait place à des sièges - les premiers à l’Arms Park avaient été installés pour le confort des dames, au début du vingtième siècle - et tout ceci fait qu’on se tient moins chaud qu’auparavant. D’ailleurs les Blues ont eux aussi fait construire des loges pour VIP dans leur vieil Arms Park.

chaque 12 novembre, dîner de la victoire Comme Murrayfield, l’Arms Park avait la réputation d’être le plus respectueux du buteur ; un silence complet l’accompagnait dans sa course d’élan. Rien à voir avec les sifflets qui accompagnèrent, samedi, l’Australien Stirling Mortlock. C’était autrement plus rude quand soixante mille Gallois entonnaient l’hymne national, Land of our Fathers, pour qui entrait sur le terrain sans porter le jersey rouge. L’atmosphère qui régnait dans ce stade avantageait sensiblement l’équipe locale. Le Stade Toulousain réussit tout de même à y brandir la première Coupe d’Europe de l’histoire en 1996 (21-18) à la barbe de Cardiff. Il se joue là, autour de vieilles tribunes de béton, quelque chose du rugby moderne, entre gardiens du temple et marchands.

Chaque 12 novembre, les survivants de l’équipe historique vainqueur des All Blacks en 1953 se retrouvent pour un dîner commémoratif de la victoire. Bleddyn Williams compte : si tout va bien cette année, ils seront encore six à table.

Lionel Venturini

http://www.humanite.fr/

:blink:

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Invité bleu des vosges
Ici, la mémoire est tellement évidente que le conseil d’administration se tient dans la salle servant de musée.

J'ai eu la chance, l'honneur de la visiter à l'invitation de Mr Barry John un soir de match de HCup à Cardiff. (Une toute petite salle, attenante au pub "VIP" de l'Arm's Parks, juste en dessous du (très beau) pub servant aux bodegas d'après-match).

L'Arm's Park en lui même a (très mal) vieilli à l'ombre du Millenium, mais l'âme du rugby gallois, et ce n'est pas rien, y transpire allègrement.

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