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Le Simulateur De Mêlée


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Les piliers de rugby ont en général du mal à se faire entendre lorsqu'ils assurent que le gros de leur activité est cérébral. Certes, ils sont dotés d'une constitution robuste, certes ils doivent avoir les vertèbres bien accrochées pour exercer ou supporter une poussée de 3 tonnes environ au moment des entrées en mêlée. Mais une fois cela posé, tout se passe dans la tête, à coups d'intelligence et de finesse. Depuis quelques mois, les "pilars" du XV de France ont trouvé à qui parler.

D'un côté, Didier Retière, ancien talonneur, titulaire d'un DESS en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), actuellement en charge des avants de l'équipe de France. De l'autre, Pierre-Paul Vidal, médecin, directeur de recherche CNRS à l'université Paris-Descartes, spécialiste en neurosciences, et un ingénieur spécialiste des simulateurs de vol dans un groupe industriel français, qui lui a demandé pour l'heure de garder l'anonymat. Au milieu, Julien Piscione, ancien champion de France de karaté et docteur d'Etat en biomécanique, responsable du pôle scientifique de la Fédération française de rugby (FFR). Au-dessus, la direction de la FFR, laquelle encourage et finance cette orientation scientifique d'un sport pourtant fermement accroché au terroir.

UN "ROBOT HEXAPODE"

De cette collaboration est né un engin unique au monde, le simulateur de mêlée, qui fait l'objet d'une demande de brevet conjointe de la FFR et du groupe industriel en question. La machine se présente sous la forme d'une araignée de fer, un joug relié à une machine tout droit sortie du film Star Wars, telle que la décrivent les rugbymen qui l'ont testée. Dans la bouche de l'ingénieur, cela devient un "robot hexapode associé à des capteurs, un simulateur de vol converti en transformateur d'efforts".

A l'origine, l'objectif était d'analyser les risques d'accident en mêlée et de les prévenir, notamment au niveau du rachis cervical. Pour cela, Didier Retière et Julien Piscione ont modélisé la mêlée, détaillé les différentes postures et mouvements des deux fois huit joueurs qui la composent. Ces données ont alors été traduites en équations, et il est rapidement apparu à l'ingénieur que l'on pourrait aller beaucoup plus loin : utiliser la future machine à des fins d'entraînement. Jusqu'alors, les rugbymen ne disposaient pour cela que de jougs inertes ou ne se déplaçant que dans une direction.

Pour parvenir à son invention, qu'il attribue "aux rugbymen", l'ingénieur anonyme a bénéficié de la collaboration de quelques confrères et a fait appel à une sacrée ligne d'avant-gardistes : Leonhard Euler et ses orientations, Albert Einstein et ses formules de transformation, pour ne citer que les plus capés. A l'en croire, c'était évidemment tout simple, il suffisait d'y penser.

Pour reproduire les mouvements d'une mêlée, il faut considérer celle-ci comme un objet dans l'espace. "Pour amener le joug exactement où l'on veut, il faut le déplacer sur la longueur, la largeur et la hauteur, mais lui imprimer aussi une orientation grâce à trois rotations, explique l'ingénieur. C'est ce que permettent de faire les six vérins électriques en leur attribuant des longueurs données."

Grâce aux capteurs, situés entre le joug proprement dit et la structure du simulateur, les poussées et les moments produits par les joueurs sont mesurés. La sensibilité de ces capteurs allant de 1 gramme à 4,4 tonnes, et les calculs étant effectués mille fois par seconde, le simulateur peut ainsi réagir en temps réel, exactement comme le ferait une mêlée adverse sur la défensive. Il est aussi possible de rendre ce simulateur plus actif en lui faisant reproduire différentes séquences offensives enregistrées auxquelles les "vrais" joueurs doivent répondre.

"D'ici peu, on ira encore plus loin", avertit l'ingénieur sous l'oeil gourmand de Didier Retière. Les deux compères assurent qu'ils ont juste besoin d'un peu de temps pour reproduire très exactement la mêlée anglaise, par exemple, en fonction des joueurs précis qui la composent, en intégrant au simulateur des données relatives à leur morphologie et à leur posture. Cela permettra de repérer scientifiquement leurs failles individuelles et collectives et de s'y engouffrer. Les joueurs français eux-mêmes passeront bientôt au crible de caméras en trois dimensions, de marqueurs ou de combinaisons spéciales.

Le simulateur de mêlée est en phase d'installation dans les locaux du Centre national de rugby, à Marcoussis (Essonne). Grâce à cette arme encore secrète, lors de la prochaine Coupe du monde en Nouvelle-Zélande en septembre 2011, les mêlées adverses résisteront-elles à la matière grise des avants français ?

Jean-Louis Aragon

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