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Le coaching, nouvelle arme?


moza de Tlse

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DANS LES ANNÉES 50, jeu à XIII et rugby (à XV forcément !) s'entre-déchiraient pour imposer leur prédominance, sur le même coeur de cible dirait-on aujourd'hui. Finalement, le combat tourna court. Le XV, fort de la dramaturgie née du combat en mêlée et de l'affrontement des avants, tordit le cou à son cousin du XIII, malgré l'obtention,

tardive, du label « rugby » pour le XIII. Lacause était entendue ou paraissait êtr jusqu'à ce que la notion de « coaching » ne vienne tout chambouler.

Car aujourd'hui, une nouvelle question peut être posée :

le rugby est-il toujours le rugby depuis que les règlements autorisent ses entraîneurs à le pratiquer à

vingt-deux ?

Au-delà du pur problème arithmétique, et de la provocation, le débat n'est pas aussi anecdotique qu'il y

paraît, tant les détracteurs de cette nouveauté sont nombreux;

à commencer par Bernard Laporte lui-

même, qui, en tant qu'amoureux du combat d'avants, se sentirait plutôt opposé aux changements de joueurs en cours de partie, mais qui utilise à fond ce procédé à partir du moment où le règlement; et la

richesse du réservoir du rugby français; le lui permet.

Bien évidemment, il n'est pas question, ici, de revenir aux temps héroïques où le remplacement de

joueur, quel qu'il soit, y compris pour blessure grave, n'était pas autorisé. En 1968, la blessure a été reconnue comme un élément nécessaire et suffisant pour justifier le changement de deux joueurs

atteints dans leur intégrité physique. Et c'est tant mieux. On passera sur l'époque hypocrite qui vit des joueurs feindre la dite blessure afin d'être remplacés, pour saluer l'avènement d'un nouveau règlement autorisant le changement de quatre joueurs, hors toute justification médicale. Tout le monde s'en trouvait bien, à commencer par les gardiens du jeu, qui voyaient préservée la dimension de combat, d'usure inhérente au rugby. Le problème naquît lorsque, dans un souci de dynamiser le jeu, on décida d'autoriser, sans aucune limitation, le changement de presque la moitié de l'équipe, soit sept joueurs sur quinze, contre trois sur onze en football. Une insulte

aux traditions Cerise sur le gâteau, vendredi dernier, à la veille du test-match contre l'Australie, Bernard Laporte, qui souvent change sa tête de mêlée en cours de match, avait cette fois prévu de sortir, dès le début de la deuxième mi-temps, son attelage de deuxième ligne : une grande première !

Autant dire une insulte au jeu d'avants pour les puristes. Et si le cours du jeu en voulut autrement, il est à parier que Laporte n'a fait que différer son plan « coaching ». Et forcément, les questions qu'il sou-

lève restent les mêmes :

- En changeant sept joueurs sur quinze, ne galvaude-t-on pas l'esprit du jeu ? En l'espèce, le travail de sape que constitue le jeu d'avants.

- En changeant sept joueurs sur quinze, n'altère-t-on pas le rythme des matches, qui deviennent sou-

vent décousus dans les ultimes minutes ?

- En changeant sept joueurs sur quinze, diminue-t-on le risque de blessures ou accentue-t-on les risques en mettant en opposition des joueurs frai set des joueurs fatigués ?

- Enfin, et si l'on prend en compte l'équité sportive, en changeant sept joueurs sur quinze, ne favorise-t-on pas les équipes les plus riches en effectif au détriment de certaines formations qui peuvent difficilement aligner quinze joueurs de haut niveau (le Canada, par exemple, qui va pâtir de la comparaison avec la France, samedi, à Nantes) ?

À l'heure où le rugby se veut une vocation universelle, ces questions restent d'actualité.

MIKE JAMES ,deuxième-ligne canadien du Stade Français, admet que la règle peut défavoriser les équipes les moins

fournies en effectif.

«Deux matches dans un match »

« AUJOURD'HUI il est délicat d'avoir une position tranchée sur le problème du coaching. En tant que joueur de l'équipe nationale du Canada, je ne peux pas nier que cette règle n'est pas faite pour avantager des nations comme la mienne, et qu'elle change la face des choses. En fait, le coaching provoque deux matches dans un match. Il faut quand même se rendre compte quenous, les Canadiens, malgré l'apport des exilés devenus pros, nous avons déjà des difficultés à présenter quinze joueurs d'un même niveau. Aussi, quand vous vous alignez face à des grosses machines comme la Nouvelle-Zélande ou l'Australie, qui vous filent 70 points, quand ce sont les Français ou les Anglais qui vous en mettent 40 ou 50, c'est difficile à vivre sur le terrain. L'intérêt du coaching, c'est d'injecter du sang neuf, des joueurs frais physiquement et psychologiquement. Et quand c'est l'une des nations que je viens deciter qui fait entrer ses remplaçants sur le terrain, la sanction est immédiate. Samedi, à Nantes, on pourrait en avoir une parfaite démonstration. Contre une équipe de France qui déplace le jeu, te fait courir, plaquer et qui commence par te faire beaucoup souffrir en mêlée, quelles sont les chances de combler le déficit quand Bernard Laporte va faire lancer Milloud et Ibanez en première ligne, Nyanga en troisième ligne et des types comme Delaigue ou Laharrague derrière ? Mais on ne veut pas non plus pleurer. Car il est important pour notre avenir que l'IRB continue à nous permettre de nous mesurer aux « gros ». Et, comme je le disais en préambule, s'il n'est pas facile d'avoir un avis définitif sur la question, c'est qu'on ne peut pas non plus être fermement opposé au coaching. La règle l'autorise et il faut se servir du règlement. Avec le Stade Français, j'ai souvent gagné des matches grâce au coaching, quand nous avons modifié notre pack en cours de match. »

PATRICE LAGISQUET ,entraîneur du Biarritz Olympique, estime qu'on ne peut pas revenir en arrière.

Et que la santé des joueurs passe en premier.

«Lasanté doit primer »

« DE TOUTE FAÇON, même si le coaching était interdit, on en reviendrait aux blessures simulées, comme il y a une dizaine d'années, ce qui n'était pas mieux. Car on ne peut pas penser interdire aujourd'hui les remplacements, ce

serait trop dangereux et la santé des joueurs doit primer. C'est un rugby tellement différent de

celui d'il y a trente ans. Et quand il y avait des blessures sans possibilité de remplacement, on pouvait dire que le jeu était dénaturé si une équipe finissait à quatorze ou à treize. Ce qui peut être gênant, c'est qu'effectivement, après une heure de jeu, en raison de la fatigue, des espaces s'ouvrent et que le coaching permet de compenser cela. L'usure générée par le combat ne peut plus être utilisée de la même façon. Mais d'un autre coté, la capacité à ajouter de la fraîcheur, de la vitesse ne peut pas nuire à la qualité du match. Tous les sports collectifs ont intro-

duit la possibilité de changer les joueurs, d'une manière ou d'une autre. Le rugby à XIII en définissant un certain nombre de remplacements pendant le match. Cela dit, il y a des garde-fous déjà en place. Parce que remplacer très tôt des joueurs, c'est s'exposer à une blessure ensuite et ne plus avoir de remplaçants sur le banc. Cela nous est déjà arrivé quelques fois. Ensuite, il ne faut pas rêver. On peut faire des plans de jeu, se dire que tel ou tel remplacement va permettre de réaliser ceci ou cela, en faisant par exemple entrer un centre plus créatif, mais les

choses ne se passent pas vraiment comme on a prévu. En fait, pour le moment, on se sert surtout du coaching pour s'adapter en touches et en mêlées. Ce qui est pénible en fait, c'est que certains entraîneurs se sont servis du système, notamment pour arriver à des mêlées simulées. Là, bien entendu, le jeu est changé, et on en arrive à des remises en jeu en mêlées comme à XIII. Ou pire : on a vraiment deux blessures de piliers et, alors, le règlement oblige à jouer à quatorze. »

Comme à son habitude, Bernard Laporte a fortement modifié sa tête de mêlée en cours de match contre l'Australie. Partie avec un attelage

De Villiers, Szarzewski, Milloud (de gauche à droite), la France conclut la partie avec un trio composé de De Villiers, Bruno et Marconnet à en faire pleurer Dospital.

PIERRE DOSPITAL ,ancien pilier international de Bayonne,estime que le coaching a diminué l'importance de la mêlée.

«Une évolution malheureuse »

« POUR MOI, c'est une évolution malheureuse. Et je regrette l'ancien temps. C'était un pur bonheur d'affronter un autre pilier, de se mesurer à lui, de le dominer, de l'user jusqu'à la fin du match. Mais comme le disait Jean Iraçabal (un autre pilier de Bayonne et de l'équipe de France),«il ne faut jamais achever ton pilier adverse,autrement,on te

le change ».Il avait raison. Avant, du début à la fin du match, c'était un véritable combat à chaque mêlée. À chaque mêlée, il fallait se remettre en question, se concentrer sur des gestes de base, lutter, ne jamais perdre la motivation. Car l'adversaire pouvait à tout moment reprendre le dessus. Et ça laissait des traces. Bien entendu, ça influait singu-

lièrement sur le déroulement d'un match. Je me rappelle une demi-finale que nous avions gagnée contre les Grenoblois (20-3),en 1982. En première période, nous les avions hachés en mêlée. Ils n'en voulaient plus. Et pourtant, il y avait des costauds en face. Dans le dernier quart d'heure, ils ont complètement pris l'eau. Avec Bayonne, nous avons souvent gagné des matches grâce à notre mêlée. Car, sur la fin, les équipes adverses étaient épuisées.Donc, le pilier qui avait réussi à user son vis-à-vis avait fait son boulot et il était récompensé.

Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. La lutte en bille à bille ne dure plus 80 minutes mais 40. Dès qu'un pilier est fatigué et je ne parle pas là de blessure, on le remplace systématiquement. Fatalement, ça change l'esprit du jeu, l'esprit de la mêlée. La mêlée reste toujour importante, mais de façon différente. Que voulez-vous, il faut faire avec ce coaching.

Prenez le cas de Toulouse. Aujourd'hui, il a un fort pilier de mêlée avec Omar Hasan, qui est capablede prendre deux adversaires différents au cours de la même partie. Mais, quelques années en arrière, quandils ont eu des difficultés en première ligne, les Toulousains étaient vulnérables et ils changeaient régulièrement leurs piliers. Cela leur permettait de rester à flot. De ce fait, ça devient de plus en plus difficile de gagner un match grâce à la mêlée. »

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