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Les vaillants pionniers de 1906


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Les joueurs du premier Quinze de France en compagnie de leurs adversaires néo-zélandais. Les Français portent un maillot blanc avec deux anneaux verticaux, l'emblème de l'USFSA

CENTENAIRE DU QUINZE DE FRANCE

Ils étaient parisiens, venaient de Bordeaux, Lyon, Toulouse ou du Havre. Le plus âgé avait 33 ans, le plus jeune 20. Ils étaient quinze, considérés comme les meilleurs joueurs de football-rugby du pays, sélectionnés par l'USFSA pour disputer le premier match d'une vraie équipe de France.

A leur tête, Henri Amand, dit le « capitaine barbu ».

Premier rugbyman-chanteur. L'hiver, il se laissait pousser la barbe, soucieux de protéger sa voix de baryton. Ailier du Stade Français, reconverti à l'ouverture pour l'occasion, il est le vétéran de l'équipe. De loin le plus expérimenté. Depuis des années, avec son club ou des sélections parisiennes, il a l'habitude d'affronter des Britanniques. Henri Amand, 1,63 m pour une soixantaine de kilos, carte d'international français numéro 1, disputa son dernier match en 1915, sur le front. Les joueurs s'étaient mis en tenue dans les tranchées. La rencontre fut interrompue par le tir d'un obus allemand (1).

Autre membre du Stade Français, Marcel Communeau, troisième ligne aile. Avec son mètre quatre-vingts et ses 90 kilos, il possédait un gabarit peu commun pour l'époque. Capable d'occuper tous les postes de la ligne d'avants, il était puissant, mobile, et pigeait merveilleusement bien le jeu. Un vrai leader aussi. Respecté et écouté. Un de ses coéquipiers dira de lui : « A côté, les autres ressemblaient à des savates. Lui, c'était un gentleman. » Marcel Communeau porta à vingt et une reprises le maillot du Quinze de France, dont treize fois comme capitaine. Le 2 janvier 1911, à Colombes face à l'Ecosse, c'est lui qui commanda les Bleus lors de la première victoire d'une équipe de France. Un grand joueur et une vie bien remplie. Major de l'école Centrale en 1904, blessé à deux reprises lors de la Première Guerre mondiale, il fut décoré de la croix de guerre, reçut la Légion d'honneur et dirigea une manufacture de tapis, à Beauvais, sa ville natale. Il y décéda en 1971.

Une bande bigarrée.

Il y avait de sacrées personnalités dans ce premier Quinze de France. De beaux tempéraments. Ceux de jeunes gens un peu idéalistes, des gars désintéressés, poussés par la passion, capables de passer une nuit dans le train, d'arriver une heure avant le coup d'envoi du match et de donner le meilleur d'eux-mêmes, comme ce fut le cas du Béarnais du SBUC Jacques Dufourcq, futur maire et conseiller général de Salies-de-Béarn.

Une bande bigarrée, où l'on trouve deux joueurs de couleur, Georges Jérôme, deuxième ligne du Stade Français originaire de Cayenne, et André Vergès, un pilier métis, écrivain et journaliste. Il faudra attendre 1969 et la sélection du Toulousain Bourgarel pour revoir un joueur noir en équipe de France.

Il y avait aussi deux étrangers, un Anglais, l'arrière havrais William Crichton, un féroce défenseur, et un deuxième ligne américain nommé Allan Henry Muhr.

L'histoire d'Allan Muhr tient du roman.

Né à Chicago, c'est au Racing-Club de France qu'il s'initia au football-rugby. Trois fois sélectionnés en équipe de France, il eut l'honneur, en 1907, de marquer le premier essai français face à un quinze d'Angleterre. Un Américain, dans le camp français, faisant des misères aux Anglais... Sélectionneur puis manager du Quinze de France par la suite, membre fondateur de la FFR, il participa au conflit de 14-18 au sein d'un service d'ambulances. Au début des années 20, on le retrouve capitaine de l'équipe française... de Coupe Davis ! Et pas n'importe laquelle : celle des Mousquetaires. Résistant pendant la Deuxième Guerre mondiale, il fut déporté et mourut de faim dans un camp en Allemagne.

Mais en ce 1er janvier 1906, au parc des Princes, Allan Muhr est encore un jeune homme insouciant, loin d'imaginer quel tragique destin l'attend. Ils sont 3 000 à avoir bravé le froid et la pluie. 3 000 curieux qui ont payé leur ticket d'entrée entre 2 francs, pour les places en secondes, et jusqu'à 20 francs pour une chaise numérotée avec chaufferette au premier rang.

La rencontre est arbitrée par un immense personnage du rugby parisien, Louis Dedet, agrégé de philosophie, joueur du Stade Français et grand serviteur de ce sport. Comme Frantz Reichel, Louis Dedet reçut, a posteriori, une cape honorifique.

De superbes démons.

Les spectateurs sont venus voir aussi cette équipe néo-zélandaise dont on dit qu'elle pratique un jeu révolutionnaire.

Les « Incomparables » de Dave Gallaher des fermiers, des éleveurs, des bergers, des forgerons qui ont quitté leur île depuis plusieurs mois bouclent en France une tournée triomphale en Grande-Bretagne. Trente-deux rencontres pour trente et une victoires et une seule défaite, face aux Gallois (3-0), 830 points inscrits, 39 encaissés : le bilan des « coloniaux » est exceptionnel. Ils sont arrivés de Swansea l'avant-veille et vont offrir au public une démonstration qui marquera les esprits pendant plusieurs décennies.

Sur un terrain transformé en bourbier, ceux qu'on appelle les All Blacks depuis quelques semaines, qui portent déjà la fougère argentée et chantent le Haka, développent un rugby audacieux, spectaculaire et terriblement efficace. Un rugby de vitesse et de puissance, d'adresse et d'intelligence tactique.

Un jeu résolument offensif qui éblouit tous les observateurs. A commencer par Frantz Reichel : « Ils osent tout, toutes les attaques possibles et impossibles, avec une rapidité, une confiance, une précision qui troublent l'adversaire, ne lui laissant pas une seconde de répit. Une bande de superbes démons » (2). Quant au docteur Dufourcq, jamais il n'oublia ce sentiment d'impuissance mâtiné d'admiration que ressentirent ce jour-là les Français : « Les All Blacks m'avaient paru si grands et si beaux, que je leur avais tâté les muscles en un mouvement d'admiration craintive » (3).

Les Néo-Zélandais étonnent aussi par leurs combinaisons.

En mêlée fermée, ils ne poussent qu'à sept, trois en première ligne, quatre en deuxième. Du jamais-vu. Le huitième avant, Gallaher, est détaché. Il joue le rôle de voltigeur, l'électron libre prompt à aller porter soutien à ses lignes arrière. Ce jour-là, Dave Gallaher, futur sergent du régiment d'Auckland tombé en 1917 lors de la terrible bataille de Passchendaele en Belgique, ce jour-là le mythique capitaine néo-zélandais inscrit deux essais.

Tout de blanc vêtus, les Français, lourdement battus 38 à 8, furent surclassés. Mais pas ridicules. Ils résistèrent longtemps, défendirent avec ardeur, jusqu'au bout, et franchirent deux fois la ligne d'en-but des All Blacks. Ce qu'aucune équipe britannique n'avait réussi à faire. Un petit exploit qui fut abondamment salué. Désormais, il fallait compter sur ces Français qui apprenaient si vite. Désormais, le rugby français allait être pris au sérieux au niveau international. En ce 1er janvier 1906, malgré la défaite, le Quinze de France remporta une grande victoire.

(1) « Le Rugby et le Stade Français », Editions des écrivains (sur commande, tél. 01.40.71.33.33).

(2) « La Fabuleuse Histoire du rugby », par Henri Garcia (éd. Minerva). (3) « Rugby en toutes lettres » (éd. Atlantica).

Olivier Plagnol

http://www.sudouest.com

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